M. Chirac à nouveau menacé par une enquête sur la Ville de Paris
Protégé par son immunité, le chef de l'Etat apparaît au centre des investigations sur les "chargés de mission" de son cabinet, de 1983 à 1995, dont certains semblent avoir perçu des salaires sans contrepartie. Plusieurs de ses anciens collaborateurs ont été récemment placés en garde à vue.
Les entrevues ont été furtives, leur teneur reste confidentielle. Au cours du mois de septembre, Laurent Le Mesle, conseiller technique du chef de l'Etat pour les questions de justice, a successivement reçu, à l'Elysée, trois anciens collaborateurs de Jacques Chirac à la Mairie de Paris, quelques jours avant qu'ils répondent à leur convocation par la police judiciaire.
Respectivement anciens directeurs adjoints et ancien directeur du cabinet de M. Chirac, Daniel Naftalski, Anne Cuillé et Rémy Chardon ont, de fait, été placés en garde à vue, ces dernières semaines, dans le cours de l'enquête sur les "chargés de mission"de la capitale, entre 1983 et 1998.
Aucun d'entre eux – pas plus que M. Le Mesle – n'a souhaité répondre aux questions du Monde sur le contenu de ces entretiens. Tout au plus Mme Cuillé a-t-elle assuré, lundi 7 octobre, que sa visite à l'Elysée n'avait "pas de rapport" avec le rendez-vous policier qui s'annonçait – et qui en suivait bien d'autres : depuis le début de l'année, nombre de proches conseillers du président de la République ont discrètement défilé à Nanterre (Hauts-de-Seine), au siège de la division nationale des investigations financières (DNIF). Le 25 septembre, la série s'est prolongée avec la garde à vue de l'ancien ministre (RPR) Michel Roussin, une nouvelle fois interrogé au titre de ses anciennes fonctions auprès de M. Chirac, dont il dirigea le cabinet à l'Hôtel de Ville de Paris de 1989 à 1993.
Actuelle chef du cabinet présidentiel, Annie Lhéritier, chargée de longue date d'entretenir les réseaux de M. Chirac en Corrèze, a elle aussi été questionnée, la semaine dernière, par la juge chargée de cette enquête, Colette Bismuth-Sauron. Au mois de janvier, Mme Lhéritier avait refusé de déférer à une convocation de la police, réclamant, dans une lettre adressée à la magistrate, le report de son audition après l'élection présidentielle (Le Monde du 10 avril).
Ainsi, derrière les silences et démentis convenus, l'inquiétude de l'Elysée face au retour des "affaires" et la vigilance qu'elle suscite apparaissent dans leur netteté. Cinq mois après la réélection de M. Chirac, un an après l'arrêt de la Cour de cassation affirmant l'immunité du chef de l'Etat tant qu'il exerce ses fonctions, l'entourage du président redoute désormais sa mise en cause directe dans une nouvelle enquête, après celles portant sur le financement du RPR, les HLM de Paris et les Voyages payés en argent liquide. En vertu de la jurisprudence établie par la Cour de cassation, M. Chirac, ne peut, certes, être questionné ni a fortiori poursuivi sur des faits qui lui seraient reprochés – ce qui a conduit les magistrats chargés des enquêtes précédentes à se déclarer "incompétents" sur son cas. Mais tant que cette limite n'est pas atteinte, rien n'interdit à un juge de mener ses investigations jusqu'au plus près du chef de l'Etat.
Or le dossier des "chargés de mission" de la Mairie de Paris, ouvert en décembre 1998 pour "faux en écritures publiques et détournement de fonds publics", ouvre plusieurs pistes qui mènent droit à l'ancien maire. Outre le fait que les titulaires des contrats litigieux – dont il est établi que certains n'ont jamais travaillé pour la Ville de Paris alors qu'ils en percevaient des salaires – lui étaient administrativement attachés, les recherches policières ont mis en évidence que ces "détachements" informels de personnels ont profité à des élus du RPR, à des Associations à dominante gaulliste – ainsi notamment qu'au Centre national des indépendants (CNI), petit parti de droite qui s'allia successivement avec le Front national et le RPR.
UN ENTOURAGE INQUIET
S'il ne semble avoir signé lui-même qu'un seul des contrats contestés, M. Chirac a par ailleurs été désigné par plusieurs des "chargés de mission" interrogés comme ayant été à l'origine de leur recrutement. Après la découverte du paiement par le Ville de Paris de son garde du corps, le secrétaire général de Force ouvrière (FO), Marc Blondel, a indiqué aux policiers, le 6 février 2002, que celui-ci avait été pris en charge sur les fonds municipaux "à la suite d'un entretien qu'[il] avait eu avec le maire de Paris". Une semaine plus tôt, alors que M. Chirac préparait sa candidature présidentielle, l'inquiétude avait saisi son entourage, lorsque le principal collaborateur de Bernadette Chirac, Bernard Niquet, avait été convoqué par la police. Son interrogatoire, consacré à la mise à disposition d'un "chargé de mission" auprès d'une association paramunicipale, s'est tenu le 29 janvier, sans que l'épouse du président ait été citée. Au mois de mars, Raymond-Max Aubert, ancien directeur adjoint du cabinet de M. Chirac à la Mairie de Paris, et Jean-Eudes Rabut, son ancien chef de cabinet, ont à leur tour été questionnés. Après la réélection, le 10 juin, les policiers ont interrogé Jean-Pierre Denis, autre ancien directeur adjoint du cabinet de M. Chirac, qui fut aussi secrétaire général adjoint de l'Elysée. Les questions portaient, cette fois, sur l'affectation de plusieurs "chargés de mission"dans des locaux situés au 174, boulevard Saint-Germain à Paris, qui semblent avoir abrité, à partir de 1993, un embryon de QG de campagne du futur candidat Chirac à l'élection de 1995.
Les gardes à vue du mois de septembre constituaient, de toute évidence, la fin de ce programme d'auditions : outre MM. Roussin, Chardon, Naftalski et Mme Cuillé, les policiers ont interrogé l'ancien directeur du cabinet de Jean Tiberi à l'Hôtel de Ville (1995-1998), Bernard Bled. Tous ont signé les contrats de certains des "chargés de mission" suspectés. Figurent aussi sur la liste des signataires, sans avoir été questionnés à ce jour, le député (UMP) Robert Pandraud, ex-directeur du cabinet de M. Chirac, préservé d'une garde à vue par son immunité parlementaire, mais qui devrait être convoqué prochainement par la juge, et le président de la République.
Hervé Gattegno et Fabrice Lhomme
--------------------------------------------------------------------------------
Statut pénal : les "sages" au travail
Formée par Jacques Chirac le 5 juillet – conformément à l'un de ses engagements électoraux –, la commission de juristes et d'experts chargée d'une mission de réflexion sur le statut pénal du président de la République (Le Monde daté 7-8 juillet) a commencé ses travaux au début du mois de septembre. Après une séance préparatoire tenue à la fin du mois de juillet, les douze "sages", présidés par le constitutionnaliste Pierre Avril, ont prévu de se réunir à douze ou treize reprises jusqu'au début du mois de décembre, dans des locaux mis à leur disposition par le ministère de la justice. Chargé par M. Chirac d'"examiner" la question de l'immunité présidentielle face aux juges et de "faire, le cas échéant, des propositions de modification", ils devraient lui rendre leur rapport avant les fêtes de fin d'année – deux séances supplémentaires pouvant être convoquées en cas de désaccords sur la rédaction. La commission a d'ores et déjà recueilli les éclairages d'une universitaire américaine et d'un spécialiste français de l'Amérique latine. |